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Les prisonniers alsaciens-mosellans de la IIème guerre mondiale

Quelque cent millions de soldats s’affrontèrent durant la seconde guerre mondiale sur de nombreux fronts de guerre, avec notamment l’Extrême-Orient et surtout l’Europe comme principaux théâtres d’opérations. Rien que de l’Atlantique à l’Oural, plus d’un tiers de tous ces combattants furent tués ou broyés par la dure loi du talion des combattants. En atterrissant en captivité, cinq millions d’entre eux environ moururent derrière les barbelés.

Englobés dans un vaste programme d’anéantissement et d’asservissement réciproques, les Sowjet Union Kriegs-gefangen tout comme les Voennoplennye issus de la Wehrmacht et des forces défaites de l’Axe, - sans oublier les cosaques, les traîtres à la solde de Vlassov, les Ostarbeiter et les Hiwis catalogués comme félons par le Kremlin- payèrent un lourd tribut à la folie furieuse des deux idéologies hitlérienne et stalinienne.

Les épreuves endurées par les incorporés de force d’Alsace-Moselle s’inscrivent également dans cette double dramatique. On estime à 22 000 le nombre de ces Malgré-Nous disparus au combat et à 20 000, ceux morts en captivité, ce qui représente pratiquement le tiers des 132 000 requis de force. Au regard de cette guerre, aucun autre département de l’Hexagone n’a connu une telle hécatombe de sa jeunesse sacrifiée !

Aux 9 millions de morts de l’Armée Rouge, additionnés aux pertes civiles russes plus que triplées, le total des morts recensés en Union soviétique se chiffre entre 27 et 32 millions, soit cinq fois le prix humain payé par l’Allemagne ! Rappelons aussi que sur les 4 500 000 P.G. soviétiques capturés, moins de deux millions revinrent vivants des camps nazis et que des milliers de ces traîtres repassèrent dans le broyeur tyrannique du goulag.

A leur tour pris dans les filets de l’Armée Rouge, environ quatre millions de captifs allemands dont un million de civils furent récupérés comme forces vives pour participer à la reconstruction du pays dévasté et se retrouvèrent disséminés dans les camps concentrationnaires de l’URSS, dans les commandos-bataillons de travail et dans les bagnes de forçats qui essaimèrent du cercle polaire à l’inquiétante Sibérie. 

Khranit vetschno, à conserver indéfiniment ! car telle était la mention annotée sur les dossiers judiciaires des victimes du goulag. Cette sentence (prikaz) de Staline, grand Saigneur devant l’éternité, martelait que les prisonniers de guerre devraient se souvenir longtemps de leur calvaire et de leur temps de rédemption passés en Russie. Il fallait, pour les fiers vaincus de ce feu IIIème Reich qui s’était voulu millénaire, que le tourment barbare enduré par la captivité frappât leurs descendances jusqu’à la quarantième génération !

On ne s’attaque pas impunément à l’URSS sans devoir en payer le prix ! Les grognards de Napoléon en avaient fait la cruelle expérience en s’avançant dans un pays-souricière dont ils ne trouvèrent plus la trappe de sortie ! Berezina de malheurs et de souffrances ! Molotov avait confirmé les craintes des prisonniers de Stalingrad en déclarant qu’aucun Allemand ne reverrait son pays tant que la reconstruction de la ville martyre n’aurait pas été achevée. Les Voennoplennye firent ainsi connaissance avec le monde communiste, secret et brutal.

 

Double système concentrationnaire avec le Goulag et le Gupwi

Lénine avait dit : « Que celui qui ne travaille pas, ne mange pas ! » Dès 1919, dans les camps de redressement, l’activité des forçats russes, ces antibolcheviques sanctionnés durement pour leur refus de se couler dans le moule rouge et d’adhérer aux doctrines marxistes, tout comme la mise-en-boîte ultérieure des prisonniers de guerre, étaient régentées par les bases du régime du Travail, 1er commandement de la Table de la Loi du Labeur. Le Soviet Suprême, promoteur du développement tout azimut de l’URSS, chercha à travers ses programmes quinquennaux à tenir la dragée haute au Capitalisme. Dognat i pregnat, dépasser et produire !

Ce leitmotiv déraisonné consistait à injecter la matière humaine, au travers des camps de rééducation par le travail, dans la construction pharaonique de la Grande Russie et ainsi dépasser le libéralisme yankee. Idéal outil d’entrave et carcan disciplinaire pour museler les ennemis du régime soviétique, la captivité se transforma aussi en source d’enrichissement du pays sur le dos de ces infortunés sous-produits de deuxième classe. Bosseurs de premier ordre, des millions de détenus essaimèrent en Sibérie pour y développer l’empire soviétique. Steplag, Kouzbass, Karaganda, Kolyma devinrent les stations-orgueils du Matérialisme où le zek détenu n’était qu’un bien matériel comme un autre, bon à être utilisé jusqu’à la corde avant d’être jeté au rebut.

A l’image du Goulag devenu au fil des décennies staliniennes une réussite économique, les services du NKVD qui dépendaient du Ministère de l’Intérieur exercèrent également un contrôle total sur le Gupwi, ce second système concentrationnaire réservé aux trois millions de prisonniers de guerre de la Wehrmacht et à environ un million d’internés civils allemands (femmes, enfants et vieillards) pêchés par l’Armée Rouge.

Avec les chaotiques conditions de la vie carcérale, avec le manque de soins en sus du travail forcé, cet attrape-tout captif conduisit à un holocauste sans pareil. Plus de 5 000 camps (comprenant des Teillager, des camps de regroupement au front et des bataillons de travailleurs) allaient parsemer cet immense archipel de la Désolation.

 

Incorporation de force dans les serres de l’aigle du Reich : En un rappel historique succinct, il apparaît judicieux de retracer le pourquoi et le comment du drame de la captivité des incorporés de force alsaciens-mosellans. Saignée à mort à Stalingrad, la Wehrmacht cherchait de nouveaux hommes-ressources.

Les ordonnances des Gauleiter Wagner pour l’Alsace, Bürckel pour la Moselle et Simon pour le Luxembourg furent promulguées vers la fin août 1942, en violation du droit international. Elles rendaient obligatoire le service militaire dans l’armée allemande. Si le drame régional des 132 000 Muss Soldaten est fort méconnu chez les Français de l’Intérieur, il est aussi vilipendé par les victimes du nazisme qui ont cru voir dans ces appelés forcés de dociles serviteurs à la solde de Hitler. Qu’il y ait eu quelques brebis galeuses dans nos trois départements de l’Est, nul ne le conteste mais il faut alors, aussi, dire haut et fort que leur nombre représente infiniment moins que les milliers d’antibolcheviques français venus de la métropole étoffer à travers la presse fanfaronne de Vichy les rangs des Waffen S.S. ! L’immense majorité de ces jeunes Schpountz fut envoyée sur le front de l’Est comme Kanonenfutter. Beaucoup furent faits prisonniers par l’armée soviétique, soit au combat, soit après évasion des lignes allemandes. Tract en main, les courageux transfuges espéraient survivre en participant à la lutte dans les rangs alliés. Une grande partie des Alsaciens-Mosellans, des Belges et des Luxembourgeois fut regroupée dans le camp 188 de Tambow. Appelé pompeusement camp des Français, cet home-de-la-décomposition-humaine avait la particularité d’héberger plusieurs autres nationalités, -la plupart étaient des ressortissants des armées défaites de l’Axe- et il vit même arriver des captifs japonais durant l’automne 1945.

Tambow ne fut toutefois pas le seul Lager de détention ; en effet, de nombreux Malgré-Nous séjournèrent dans une ribambelle de camps établis du cercle polaire aux confins de l’Oural, sans oublier les camps européens gérés par les tentacules de l’Armée Rouge en Pologne, en Roumanie ou en Hongrie.

Victimes de deux dictatures qui s’étripèrent monstrueusement, les Zwangsrekruten d’Alsace et de la Moselle, soldats-du-trop-tard et du-trop-peu, vécurent leur Golgotha, étranglés dans les intraitables serres de l’aigle nazi d’une part et écrasés de l’autre par les griffes de l’oUrss’. Nous savons qu’au jeu du chat et de la souris, la proie lacérée par les griffes meurt souvent saignée à petit feu ou cherche désespérément à échapper à son triste destin. Inébranlables face à leur détresse, des milliers de gars de l’Est revinrent au bercail, lessivés moralement et physiquement, après avoir été libérés des crocs de la Bête geôlière.

Passant en revue leur douloureuse rétrospective, trop longtemps passée sous silence après guerre, les enfants des rives de la Moselle et du Rhin, lâchés par la lâche France de Vichy, en voulurent à la Nation d’avoir sacrifié leur jeunesse anéantie dans la honteuse abdication de l’Armistice. L’incorporation de force nazie, sous menace de déportation à l’encontre de la famille en cas de désertion du fils, n’étant pas seulement une violation des Droits de l’Homme mais également un crime de guerre, il eût été tout indiqué que ceux qui furent contraints de s’y résigner et de par là, capturés sur le front russe, bénéficiassent du statut de déportés par la Wehrmacht ! Mais aucun gouvernement français après la Libération ne se soucia de l’établir, au vu de leurs malheurs vécus qui auraient dû inciter la République à s’intéresser avec bien plus d’estime à cette catégorie de victimes de guerre.

Issus des modèles de démocraties contraires au léninisme, les prisonniers français payèrent un lourd tribut à la russianité et à ses sortilèges corrosifs : obéissance, endoctrinement, sévices et travail de force conduisirent à leur chemin de croix. Certaines dépositions recueillies par le 2ème Bureau à Chalon-sur-Saône en automne 1945, au moment du rapatriement des captifs français, nous donnent un bref aperçu des exactions commises par les troupes soviétiques assoiffées de vengeance. Les rapports secrets concernant les conditions épouvantables de la détention, auxquelles ne furent pas étrangers certains fieffés kapos alsaciens-mosellans, relèvent encore d’une prescription dissimulatrice. N’ayant pris aucune ride et avec une acuité identique aux révélations des dossiers secrets, les récits de notre questionnaire médical, épluchés 60 ans après les faits, restent tout aussi suggestifs.

 

Syndrome de stress post-traumatique

Dans l’International Handbook of traumatic stress syndromes (edited by John P. Wilson and Berverley Raphael, Plenum press New York, 1993), nous retrouvons dans le chapitre n° 21 un thème médical traitant des désordres post-traumatiques du stress chez les prisonniers de guerre d’Alsace-Lorraine de la IIème guerre mondiale qui survécurent à leur captivité en URSS. Les docteurs M.-A. Crocq, F. Duval, J.-P. Macher du centre hospitalier de Rouffach et K.D. Hein de l’université de Michigan Medical School ont étudié, au travers d’un questionnaire auquel ont répondu 819 vétérans rescapés d’Alsace et de Moselle, la dureté carcérale, la sévérité doctrinaire et les désordres psychiques causés par leur détention en URSS sous d’extrêmes conditions.

Un questionnaire avec 117 items en bi-langue (allemand et français) fut envoyé à cet effet à plus de 2 000 membres de la Fédération des Anciens de Tambow et internés en Russie (F.A.T.). Sur les 819 réponses obtenues, deux témoins furent enlevés du lot car leur détention ayant duré plus de quatre ans ne répondait pas au cas précis de l’échantillonnage des questions proposées. Cette étude poussée qui analyse à fond les caractéristiques biographiques des rescapés (âge au moment de l’incorporation dans la Wehrmacht, encasernement et formation militaire, temps passé sur le front de l’Est, durée de la captivité) démontre bien que la longueur de l’emprisonnement conditionne le PTSD des captifs (Presence of Post Traumatic Stress). N’étant pas praticien, je ne chercherai pas à m’étendre sur le sujet mais il est bon de rappeler les souffrances morales et psychiques (flash-back, rêves récurrents, épouvantes nocturnes, cauchemars persistants, isolement, attaques de panique, effrois, phobie sociale) qui ont affligé maint retour et empoisonné l’existence des tiers. « Les souvenirs intrusifs peuvent être déclenchés par des stimuli associés à la captivité : soupe très liquide, paysage de forêt enneigé, nouvelles télévisées concernant des otages. « Les sujets se réveillent en sueur, avec des palpitations » relève-t-on encore dans le rapport. L’étude pathologique entreprise en 1988 par les Docteurs Crocq, Sailhan et Barrois, détermine que les survivants présentent encore et toujours, des séquelles psychologiques de répétition et des troubles anxieux chroniques : ces névroses d’effroi, cendres encore chaudes des braises de l’enfer vécu et qualifiées à bon escient de névroses de guerre ont, dans beaucoup de cas personnels, débordé les capacités de défense physiques et morales de l’individu et l’ont conduit parfois prématurément à sa disparition.

Dans le questionnaire abondamment fourni traitant de la captivité, l’épluchage des récits retrace pleinement l’atmosphère infernale subie par le terrible système concentrationnaire soviétique. Toutes les récriminations et l’exaspération latente des quelque 800 témoins qui ont rempli lesdites rubriques, même divulguées six décennies plus tard, restent très suggestives sur les traumatismes endurés d’alors. A contrario, sans doute aurions-nous entendu un tsunami d’horreurs si l’on avait pu, dès 1945, enregistrer les doléances des 20 000 rescapés alsaciens-mosellans ! (Sur les 40 000 Malgré-Nous faits prisonniers, Pierre Rigoulot estime à 50 % la mortalité de nos compatriotes après la capture). Cette investigation étalée à livre ouvert, c’est un drame ravivé à la Zola où les malheurs vécus demeurent effroyables malgré l’injure du temps qui a clairsemé le rang des survivants.

Ravages du corps, ruines de l’âme ! Des veuves n’ont pas hésité à prendre la plume pour retranscrire le lamento de leur conjoint. Je n’ai pas voulu épiloguer sur les névroses psycho-traumatiques consécutives à la frayeur que continuent d’éprouver certains rescapés, restés captifs dans les phantasmes concentrationnaires qu’ils traînent avec eux. Cette enquête médicale m’ayant été confiée par le président Jean Thuet après que le Dr. Crocq en eût retiré les éléments pour conforter sa thèse sur la névrose de guerre, je me suis permis, avec leurs accord et appui réciproques, à rapporter texto les drames et traumatismes vécus par les captifs, malgré le scrupule qui m’a longtemps fait hésiter à mettre à la lumière du jour les patronymes des témoins, un peu sans leur aval. Que ces derniers me pardonnent cette liberté au nom de la crédibilité des faits et du service à la Mémoire ! J’ai voulu humblement mettre ma contribution au service de nos trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle pour restaurer la dignité passée des Malgré-Nous. 

 

Rouss’pétances ! Dès leur rapatriement, des Malgré-Nous rescapés confièrent à leurs proches et à la plume leur mal-vivre carcéral et les conditions de survie extrême auxquelles ils furent soumis. Mais leur diffusion dépassa rarement la sphère régionale. Un peu à l’image de la goutte de phosphore qui s’incruste dans les chairs et qu’il faut plonger dans un bain d’eau pour éteindre ses effets, oui longtemps, trop longtemps, la captivité vécue fit taire ses brûlures de l’Histoire en plongeant les rescapés dans le monde du silence.

Le maréchal Joukov, commandant la zone Est de Berlin, avait dit à un captif de Creutzwald, revenu en 1951, au moment de son transfert vers la zone Ouest d’oublier et de se taire. Schweigen und vergessen !

Mais heureusement, on ne bâillonne pas ainsi la Mémoire sous forme de rodomontades verbales. Soljenitsyne, dans le style d’un précurseur courageux de la Glasnost, avait osé le faire en son temps en écrivant : « l’Archipel du Goulag est une terre sans écriture et la tradition orale s’interrompt avec la mort des habitants. Seuls quelques embruns épars vous les dépeignent parfois, éclairés par la lumière réfléchie de la lune, à peine perceptibles… Que votre mémoire soit votre unique sac de voyage. Retenez tout ! Souvenez-vous de tout ! Seules ces graines amères auront peut-être la chance un jour ou l’autre de lever. » Forts de son conseil et un peu grâce à ce questionnaire aidant, 817 incorporés de force, avec leurs réminiscences au goût de fiel, ont voulu, eux aussi, à travers leurs témoignages, évoquer les annexes infernales. L’un d’eux a même eu cette affirmation pour dire que l’Enfer de Dante était un charmant paradis comparé aux Lager qu’il a connus.

 

Cayenne et géhenne réunis

Dans les griffes de l’oUrss, les braves survivants ont épilogué sur leur incorporation de force mais surtout sur leur captivité dans un questionnaire révélateur des souffrances endurées. Qu’en ressort-il de ces témoignages au couteau que le temps peine à cicatriser ? La via dolorosa débouchant pour des milliers sur un Golgotha mortel !

Le marche-ou-crève de l’animal humain dans les colonnes de désolation ramenées de l’arrière du front éliminait de nombreux éclopés, victimes des gardes qui liquidaient par fureur d’âme et par soif de vengeance les plus affaiblis. Il valait mieux rester proche des hommes d’escorte pour éviter le rentre-dedans d’hystériques tankistes ou échapper à la noire colère des civils armés de fourches, hostiles lanceurs d’avoinée de pierres ou écumants postillonneurs de crachats. Durant les trajets en wagon, le sadisme des konvoïs consistait à distribuer des harengs fumés et du pain dur en plein été ; cette ration sèche déshydratait encore davantage l’organisme car la soif demeura de loin le pire ennemi du bétail humain. Un seul seau par wagon ! car trop de boisson distribuée aurait provoqué bousculade et pagaille monstre au grand déplaisir de l’escorte chargée de ramener l’ordre ! On léchait en conséquence les ferrures intérieures que la condensation avait perlées d’humidité bienveillante. Le transport par voie ferrée véhiculait une hygiène déplorable ; l’affaiblissement physique s’aggravait avec le syndrome de l’enfermement. Enjambant les cadavres empilés qui avaient servi de calfeutrage au froid glacial, tombant sur le ballast dès la porte coulissante ouverte, des êtres qui avaient presque cessé de l’être, au visage émacié, remerciaient le Ciel d’avoir réussi miraculeusement à supporter les aléas catastrophiques du trajet interminable. Mais le pire ne faisait que venir !

La matière humaine malaxée à l’idéologie communiste allait progressivement se transformer en cadavre ambulant et en carcasse du non-être. Pour ces cadenassés de la vie captive, les calamités, pires que les plaies d’Égypte que peuvent endurer des prisonniers, y assaillirent des milliers de reclus. La présence de mouchards cassait l’homogénéité des groupes et l’esprit de camaraderie.

Le dosage alimentaire entretenait juste le travailleur épuisé tandis que l’habillement riquiqui couvrant les bêtes d’infortune s’avérait inadapté aux conditions atmosphériques. La crasse enveloppait, à l’image des écailles de poisson, la peau des tordus par les souffrances. Tous les témoins sont unanimes pour affirmer que la faim et la soif furent une réelle horreur. En guise de repas, les pains spongieux et la soupe aqueuse parfumée aux chiures de punaises constituaient bien souvent le seul mets lorsqu’il en restait suffisamment dans le chaudron, après les vols et les détournements perpétrés par des spécialistes zapzerapeurs (voleurs) et certains entretenus du système. Hooliganées contre de la vodka et de la mahorka (tabac) par des intendants corrompus ou par des gardiens témoignant leur répugnance profonde à allouer des rations à leurs ennemis jurés en pensant à leurs propres familles affamées, les vivres, rares de surcroît, bi-passaient souvent dans des circuits parallèles de distribution. Quenelles-au-bout-de-la-fourchette-de-papa-Staline, les captifs allaient servir de chair-à-industrie dans de titanesques chantiers dignes du travail d’un Romain. Nos pantins, robotisés par le système concentrationnaire, furent attelés au formidable bond-en-avant de la Machine infernale. Routes, villes, canaux, voies, tourbières, usines, combinats, kolkhozes parsemèrent les exils intérieurs de cette retraite en Russie profonde.

Classés comme Stalinspferden (Pferd=cheval), les portefaix rompus à toutes les charges, sucés aux quatre veines, s’identifiaient aux crevards, ces individus vidés, exsangues, aux extrêmes limites de résistance qui mouraient au bout de 2-3 jours de présence au lazaret. A Karaganda, le mineur hanté par la peur de ramper dans le trou terrifiant des veines de charbon, ne laissait rien paraître sur sa  gueule noire de l’effroi vécu, au sortir du puits archaïque. Faute d’avoir manifesté une attitude honnête envers le travail sacré, le condamné voyait sa portion de survie  réduite au vu de la norme non atteinte. La loi du débrouillard culotté et individualiste qui faisait semblant ou qui bossait le moins possible dominait dans le SYSTEME vénal du Gupwi. Il en résultait un sabotage économique permanent et largement déficitaire au regard de la planification quinquennale. Le faire-semblant ronronnait de bien-être fausset, on pigeonnait à merveille et sans scrupule son prochain. On truandait l’autre ; la norme non atteinte allait réclamer une charge supplémentaire de travail aux larbins de service. S’apercevant très vite que le gaspillage dépassait largement les seuils de rentabilité exigée par les stakhanovistes de la Révolution rouge, chaque captif arnaqué cherchait à devenir à son tour un routinier partisan du moindre effort.

A côté d’une industrie déraisonnée qui polluait mortellement des contrées entières (la région pelée autour de Kouïbychev par exemple), avec la toufta, ce système vénal de tromperie sur la quantité et la qualité du travail fourni et le primitivisme constaté un peu partout, le Pays s’enfonçait dans la désolation. Faire proliférer du blé aux limites de la toundra gelée, c’était le défi fou lancé par des agronomes cinglés à la Nature et que jetaient fatalistes, les semeurs aux larmes de glace sur la banquise terrestre mordue par le gel. L’absence de mécanisation performante fondait insidieusement la masse captive ; pour la plupart des activités, très pénibles en passant, on employait des instruments primaires qui immobilisaient plus qu’ils n’encourageaient les rendements.

Dans les kremlins boisés, et principalement à Tambow, les ratatinés par le boulot broutaient goulûment leur nourriture de moineau. « Quand un loup a faim, il mange des mouches ! » Ce proverbe russe donnait ici tout son sens à la polyphagie. Sujettes à l’inondation au moment du dégel, les cabanes enterrées et basses, semblant comme écrasées par la misère et la rudesse des matériaux naturels utilisés, en confortaient l’insalubrité. Les vermines au pluriel avaient vite trouvé leurs peaux de prédilection et avec la promiscuité sardinière aidant, elles essaimaient, contribuant encore, de par leur fléau, à exaspérer la susceptibilité des encagés. Pour ne pas être de reste, les maladies s’amplifiaient dans les profondeurs du terreau insalubre. Les carences nutritives dévitalisaient les momies ambulantes et entraînaient la pellagre, voire la démence. Tuberculose, hydropisie et scorbut s’acoquinaient aux autres maladies pour enfler les taux de mortalité. Ulcérations gangréneuses et engelures putréfiées constituaient des voies d’accès faciles pour les bacilles, ces bâtonnets frappeurs du tétanos. Les lazarets de fortune demeuraient malheureusement orphelins des remèdes de première nécessité. Dans les gîtes forcés, la Mort fauchait les rangs. La libération des souffrances terrestres et le glissement lascif vers un état bienheureux d’apesanteur, à l’image du forçat épuisé tombant de lassitude, accompagnaient les râles des agonisants désespérés de ne plus revoir leurs familles. Enterrer les macchabées sous de telles latitudes glacées pour leur dernier voyage sur terre relevait de l’exploit. Sous la lune rousse, le blizzard pétrifiait les cimetières remplis de crevés, avec leurs pieds cette fois bien dans la tombe. Les rafales sauvages hurlaient en cacophonie avec les corbeaux le De profundis in terra en attendant l’arrivée printanière du redoux qui permettait de combler les basses-fosses, aux emplacements effacés à jamais. Manquant de chaleur naturelle et surtout humaine, dans l’air nauséabond générateur d’insomnies élastiques, les effarés broyaient du noir, cédaient aux réflexes du chacun-pour-soi, aux calomnies, aux coups de gueule. Toute situation devenait prétexte à l’empoignade verbale ou musclée des protagonistes ! Le manque de place et d’intimité, le pet de travers, les privilèges et la nervosité provoquaient des épanchements de fiel. Des bagarres explosives laissaient parfois des morts sur le carreau. Les cauchemars-tortures entretenaient le chœur des démons dans les piaules des troufions râleurs. Les sous-alimentés chroniques s’habillaient avec les moyens du bord : le chiffon russe (Fusslumpen) pourrissait à force d’être mouillé dans les galoches trouées, on le remplaçait par des tchétézi, ces chaussures à pneu et à semelle de bois. L’idéologie serinée par les commissaires politiques matraquait le fait qu’il fallait faire payer la dette aux envahisseurs venus les armes à la main et que ce châtiment n’était que juste réparation au Mal commis. A Tambow, certains kapos, chefs de corvée disciplinés au cœur froid comme l’hiver arctique, chargèrent à mort la barque des damnés ! Le Politruk cherchait à extirper l’ordre bourgeois du mental des individus qui, aux yeux du Kremlin, n’existaient pas en tant qu’êtres humains, car ils faisaient partie d’un collectif grégaire qu’une minorité agissante de sous-fifres, roitelets flicards sur le terrain, menait à la baguette et décérébrait. L’embrigadement docile des mercenaires kaki chloroformait leurs agissements et finissait par instrumentaliser leurs actes qui régentaient le bon ordonnancement des camps. Les Ponce-Pilate survitaminés, girouettes vertueuses à la solde de la Bouffe et des avantages acquis, endossèrent à merveille leur rôle de nouveaux chevaliers prosoviétiques. En odeur de sainteté stalinienne, les canailles rampantes abreuvées au lait communiste obéissaient au pied de la lettre aux recommandations carcérales. Pires que dans l’enfer, les sous-ordres, ces gardes diablotins, infligeaient à leurs victimes le régime des punitions et des corvées merdiques. Soumis par un appareil militaro-policier, les galériens souquaient dur à fond de cale tandis que les privilégiés du système étaient installés sur le château arrière. Mais, à côté du camp 188, certes unique en son genre, d’autres camps assimilés à la Mort et au Mal et où sévirent lestement de nombreux affidés, la plupart étant des Allemands serviles inféodés à l’Antifa, devinrent également, grâce à leur gardiennage féroce et violent, des clubs de (la) vacance et du vide.

 

Agencement du livre

Dans la rapide évocation d’un Malgré-Lui de Puttelange-aux-Lacs, soldat du Kaiser, revenu au bercail en 1921, on apprend au détour de l’article du journaliste à qui il a confié ses impressions, que la situation du pays russe, gérée par les Bolcheviques depuis la révolution d’Octobre de 1917, est catastrophique.

Et 25 ans plus tard, au sortir de la seconde guerre mondiale, le constat d’oppression restait le même pour les Malgré-Nous rescapés : la dictature soviétique n’avait pas varié, elle imposait plus que jamais sa chape de plomb et sa camisole de force sur les neuf fuseaux horaires de son immensité continentale.

Les témoignages sont répartis en trois grands thèmes : la Wehrmacht, l’Armée Rouge et la Captivité où le camp de Tambow tient encore et toujours son rôle d’étouffoir et de trou de Babel.

En s’imprégnant au fil des pages de la montagne russe des malheurs vécus par les recrues forcées, le lecteur comprendra mieux la problématique des Malgré-Nous et leur vie de peu de choses sur le front russe.

Des centaines d’anecdotes ont été collationnées dans ces trois catalogues.

1) L’on ne peut pas comprendre tout à fait la tragédie des Zwangsrekruten si l’on ne s’attarde pas un tant soit peu sur le drill prussien subi dans les casernes et les péripéties vécues dans les différents corps d’armées.

En préambule, huit dépositions personnelles très étoffées évoquent les assauts, les bombardements subis, les corps-à-corps, les retraites égrenant leurs étapes de feu mais aussi l’amer encagement. Leurs parcours du combattant les ont menés des faubourgs de Leningrad aux confins du Kouban. Puis, un grand chapitre fait défiler les épreuves vécues par deux cents incorporés de force, aussi bien sous l’uniforme feldgrau que dans la tunique répressive du captif. En compulsant le registre épistolaire truffé d’événements incroyables de ces réchappés, on imagine un peu mieux les tourments vécus par nos garçons de l’Est de l’hexagone sous les deux bannières totalitaires qui se vouèrent réciproquement une antipathie sans pareille.

2) Quant à l’Armée Rouge, les récits nous commentent qu’elle fonce agressivement vers le sanctuaire nazi, au pas de charge revanchard. Crimes féroces des partisans, atrocités et mauvais traitements systématiques des unités de la Garde, rudes interrogatoires à claques suivis de passages-à-tabac perpétrés par d’ombrageux commissaires politiques, brutalités sanguinaires des Flintenweiber, fouilles musclées, coups de folie des bourreaux, marches exténuantes, déficiences sanitaires et manques de nourriture accentuent l’Épouvante après la reddition.

3) Il m’a semblé utile d’évoquer la création du gupwi, frère secret du goulag que j’ai agrémenté à la fois, avec les tribulations d’un Polonais rescapé, déplacé spécial en Sibérie et le martyre des ressortissants des pays baltes que croiseront nombre de nos embastillés.

Puis, un large inventaire évoque entre autres faits, les transports, la faim, la soif, la vie dans les camps, le travail, l’hygiène, les maladies dans les vallées-des-larmes (in lacrimarum valle), la Mort, les doutes, les espoirs déçus, les face-à-face tendus avec l’autorité et les kapos moutonniers, les condamnations, les histoires incroyables, le rapatriement, auxquels furent soumis nos trompe-la-mort. Harengs en caque, les prisonniers, classés comme matière consommable, se retrouvèrent stockés dans des camps de rassemblement avant d’être ventilés, à des fins de rentabilité par le travail, vers des camps de regroupement identitaire. La lutte pour la survie y devint épique. La corruption exercée par les nantis affamait les dépossédés, la déshumanisation transformait les teints-verdâtres en loups. Îlots de désolation perdus, les camps par où transitaient les captifs dispersés révèlent tous le caractère dramatique de l’avilissement, de la malnutrition, de l’inconfort, des coups durs sans fin et de la malvie.

Tambow reste le pire modèle parmi la liste des camps répertoriés.

« Ce sont les mots qu’ils n’ont pas dit qui rendent si lourds les morts dans leurs cercueils » a admirablement écrit Henry de Montherlant en évoquant le sacrifice des héros morts pour la Patrie. Mais que dire du sort des survivants ? Il leur reste à témoigner de l’Innommable, à être les garants de l’Homme aux yeux de l’Histoire.

Et surtout, que les générations suivantes n’oublient jamais ce qui fut perpétré, afin que cela ne puisse plus jamais advenir ! Epaves mosellanes et alsaciennes à jamais avalées par l’Inconnu, reposez en paix dans vos mausolées fantômes engloutis à jamais dans la poussière des steppes ! Les incorporés de force, à travers leurs poignants récits, veulent, avant qu’ils ne partent discrètement, léguer toute leur Mémoire à la Légende de XXème siècle ! 


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