« 16 janvier 1943, date de mon incorporation dans la Wehrmacht. Affecté en avril sur le front russe, j’ai servi dans les marécages du Pripet, puis à Dniepropetrovsk. Capturé le 3 octobre 1943, je restai 25 mois prisonnier.

Durant mon séjour au front, j’ai connu quelques expériences bouleversantes : mon train sautant sur une mine alors que je me trouvais à proximité de l’explosion, les pilonnages par l’artillerie adverse (orgues-de-Staline notamment), attaques à la Maschine Pistole pendant l’obscurité, pluie d’obus tirée en direct par les canons des blindés, (j’ai pris un éclat d’obus au pied). Les appels à la désertion lancés par des haut-parleurs russes de la part d’Alsaciens ayant déjà déserté n’ont pas été étrangers à ma propre évasion puisque je me suis échappé des lignes allemandes pendant une retraite. Au moment de ma capture, la décision du Russe de ne pas appuyer sur la gâchette de son fusil-mitrailleur, le vol de tous mes objets personnels, bottes, ceinture, mouchoirs,… furent traumatisants. Faut-il rappeler que les Russes ne se servaient pas de mouchoirs, qu’ils se mouchaient entre les doigts en serrant le nez et en l’essuyant avec la manche, qu’ils crachaient constamment pour exprimer leur colère. Après la capture et durant les marches, la soif me tourmentait à tel point que j’arrivais à boire les ¾ d’un seau d’eau d’une seule traite, les seaux étant retirés des puits existant parfois au bord de la route. Il y eut des exécutions sommaires de malades ou de blessés ne pouvant suivre l’allure imposée pendant les marches. Lors des transports en wagons plombés surpeuplés, nous ne tenions plus sur les jambes en descendant. L’odeur des lieux était insupportable à cause des excréments non évacués par la goulotte, surtout chez tous ceux qui avaient la diarrhée. Seulement sur appel désespéré, on arrivait à avoir un seau d’eau par wagon.

 

Voici la liste des événements éprouvants et bouleversants que j’ai connus à Tambow : tels, l’empêchement d’être libéré des corvées alors que j’étais malade, le manque de soins et de médicaments pour soigner les maladies, l’incurabilité de l’œdème ou de la dysenterie malgré le jeûne imposé, la malpropreté (manque d’eau pour se laver), la violence morale qui régnait et qui était due aux kapos français, les punitions arbitraires de ceux-ci, la vie primitive, le manque de chaussures et d’habillement pendant les froids de –36°C, la sous-nutrition (due en raison de rations insuffisantes alors que les chefs mangeaient trop), le favoritisme trop voyant et l’intoxication politique tentée par les kapos en chef, les abus de commandement, les bobards lancés qui ne se réalisaient pas (rapatriement proche), le spectacle journalier de la déchéance, la mortalité impossible à enrayer. Occasionnées par la position allongée sur les bats-flancs rugueux sans matelas, des plaies apparaissaient aux endroits où les os affleuraient le corps. Le pus ne disparaissait plus et provoquait la gale généralisée. En raison de la promiscuité et du manque total d’hygiène, de nombreux décès de dysentériques et d’incontinents échelonnaient chaque matin leur trajet nocturne. J’ai participé à l’abattage des arbres en forêt et j’ai travaillé au kolkhoze (travail à la norme avec des outils usés). Au lazaret de Kirsanov, j’ai été soigné une unique fois avec des ventouses pour enrayer une pneumonie. J’ai subi une transfusion de sang rudimentaire effectuée avec l’aide de boîtes et d’un tuyau de caoutchouc brun à partir d’un donneur, un pasteur allemand prisonnier. L’instrument le plus répandu et le plus choyé dans les lazarets restait le thermomètre. Si le malade n’avait pas de température, il était considéré comme « travailleur » apte aux corvées. La soif était aussi dure à supporter que la faim. Quand l’eau manquait, la soupe n’était pas servie. Faute d’eau, le pétrissage de la pâte ne pouvait pas s’effectuer. Alors les rations de pain sautaient, cela est arrivé plusieurs fois. Parfois, on nous remplaçait le pain par du suckari (biscotte en tranches, séchée d’avance) amené d’ailleurs. Les parasites (poux, puces, punaises, moustiques) empêchaient une récupération totale des forces pendant la nuit. Rapatrié en octobre 1945, je pesais 38 kg. »

Thuet Jean


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